Comme à chaque fois, les articles non écrits pendant le voyage tardent un peu. C’est donc presque deux mois après notre retour d’Asie du Sud Est que Michel décide de reprendre le clavier.
Nous nous étions quitté à Phnom Penh, ville assez étonnante de modernité après ce qu’elle a vécu, il n’y a pas si longtemps.
Au départ, nous avions prévu de passer en Thaïlande par la douane de Daung que nous avait conseillé un voyageur rencontré l’an dernier au Népal.
-Tu verras, là-bas, si tu te démerdes bien, ça doit passer.
Mais, finalement, nous trouvons qu’il est dommage de venir au Cambodge sans aller faire un tour à la Mer de Chine et aller visiter Sihanoukville, alors, nous descendons à l’extrême Sud du pays.
En plus, un camion aménagé allemand à réussi à traverser la frontière thaïlandaise il y a quelques mois à une petite douane là bas.
Nous profitons de nos dernières semaines sur les routes d’Asie du Sud Est pour photographier ses précieux souvenirs comme cet homme et son monstre de taureau.
Cette gamine insouciante sur cet attelage plus que standard ici.
Et ces convois exceptionnels qui, dans ces pays, n’ont rien d’exceptionnel.
En-tout-cas, à ce rond-point
nous prenons, au hasard, à gauche en direction d’une plage qui nous paraît bien sur le GPS.
Nous sommes un peu perdus sur une piste en terre avec franchissement de ponts dont la résistance avec nos presque 4 tonnes n’est pas assurée.
Finalement, nous trouvons un coin tranquille, pour passer la nuit en bord de mer.
Malheureusement, les déchets plastiques, comme partout, gâche un peu le plaisir. Quelle honte cette planète polluée jusque dans les endroits les plus reculés.
Bon, finalement, nous ne nous sommes même pas baigné, mais c’était sympa quand même.
Nous allons maintenant, comme prévu, à Sihanoukville. Tout ce que nous pouvions avoir en tête ne correspond finalement pas à la réalité. Cette ville également très moderne a été investie par les Chinois. C’est pratiquement une ville chinoise maintenant, toutes les enseignes sont en chinois.
Même la crise immobilière chinoise est venue jusque-là, un peu partout, ces innombrables immeubles jamais terminés et à l’abandon en sont la preuve.
En-tout-cas, nous, on a du mal a profiter de cette partie du Cambodge, nous sommes trop préoccupés par le passage de la frontière thaïlandaise, les dernières nouvelles ne sont pas bonnes de la part des rares voyageurs qui ont essayé de passer.
Nous décidons de tenter notre chance plus tôt que prévu au cas où nous serions obligés de chercher des solutions sans savoir lesquelles. Alors sous les premières grosses averses de la mousson, nous allons à la petite douane de Cham Yeam, au bord de la mer.
Sur place, nous commençons par faire mettre un tampon de sortie du Cambodge sur nos passeports le douanier est très sympathique, puis, nous allons faire les papiers de sortie de Pépère.
Là, c’est la douche froide, avant même que la Thaïlande nous refuse, le douanier Cambodgien chargé de faire sortir Pépère refuse de poser le tampon.
– quand vous êtes rentrés au Cambodge depuis le Laos, vous avez indiqué que vous sortiriez par le poste de Daung, alors vous devez aller là-bas.
Malgré nos protestations, nous n’avons pas réussi à infléchir sa position.
Le problème, c’est qu’officiellement, sur nos passeports, nous avons quitté le Cambodge. Nous retournons à l’immigration pour rentrer à nouveau alors que nous ne sommes même pas sortis physiquement.
Heureusement, à l’immigration, ils se mettent tous en quatre pour nous aider, ça dure longtemps avec des aller-retour pour voir le grand chef qui finalement nous fait un tampon provisoire pour rester dans le pays.
Maintenant, il ne nous reste plus qu’à faire les 400 kilomètres qui nous séparent de l’autre frontière.
Pour ça, il nous faut traverser la région historiquement connue comme base arrière des Khmers rouges avec des villes encore aujourd’hui pas très claires, sur le sujet, comme comme Pailin. En tout cas, les monuments et décorations sont très jolies et gaies.
Ici, la plupart des anciens cadres khmers rouge règnent sur la ville et la région. Pour remonter la pente après le génocide, le pays a décidé de fermer les yeux et de ne juger que les gros bonnets.
Nous roulons depuis des heures quand la nuit commence à tomber,
la vue d’un campement, genre réfugié de guerre en lisière de forêt ne nous incite pas à nous arrêter, nous continuons à travers cette forêt épaisse, en pleine nuit. Heureusement, la route est bonne. Mais, tout d’un coup, un groupe de jeunes nous barre la route et nous dit que c’est barré plus loin et que nous devons prendre un chemin de terre en descente dans la forêt.
Ça ressemble trop à un traquenard, nous discutons est essayons de passer, mais d’un autre côté, ils n’ont pas l’air méchants, mais quand même…, aller seul dans ce chemin qui mêne on ne sait où ? On n’est pas chauds.
Finalement, au bout d’un moment, un taxi arrive avec ses passagers. Il nous confirme que la route est bloquée.
Nous le suivons en faisant bien attention de ne pas perdre ses phares pour nous guider. Et après être descendus dans une petite vallée étroite et remontés, nous le perdons. Une petite bâtisse au bord du chemin nous sauve un peu la vie. Nous devons profiter de cette opportunité et demander au propriétaire de dormir dans sa cour, sans hésitation, il accepte. Oufffff
Mais qui sont ces gens isolés de la sorte ?
Doreen discute avec la femme.
Et Michel entame une conversation surréaliste avec l’homme.
– Merci beaucoup, vous nous sauvez la vie. Comment t’appelles tu ?
Il prend un bâton et écrit dans le sable « Kry »
-Moi, c’est Michel et quel age as tu ?
Toujours avec son bâton, il écrit 1952
– C’est incroyable, moi, je suis de 51, mais à ton âge, quand tu étais jeune, tu parlais français, et tu ne t’en souviens plus ?
Et là, il se prend la tête entre les mains puis mime avec des ta ta ta… des fusillade en disant « j’ai tout oublié, j’ai tout oublié Sihanouk, lon Nol ta ta ta ta… j’ai tout oublié. Aucun écrit ne pourra transcrire l’émotion que Michel ressent face à cet homme traumatisé.
Malgré cette émotion, il tente une question.
– Tu étais un Khmer rouge ?
Son regard suffi a confirmer son passé.
Après toutes les horreurs que nous avons vu au musée et sites historiques de Phnom Penh, nous voilà en face d’un acteur vivant du génocide. A cette époque, nous avions tous les deux 20 ans.
De son côté, Michel était horrifié par les reportages, devant sa télé noir et blanc pendant que Kry était emmené dans un tourbillon infernal qu’il n’avait sûrement pas imaginé.
La discussion se poursuit un moment et nous rentrons tous les deux chez nous. Seul un voyage en toute autonomie comme avec Pépère permet des moments d’une telle intensité.
Le lendemain, nous avons tous à faire, alors nous nous séparons avec malgré tout des regards qui en disent long sur cette rencontre imprévue.
Il nous reste peu de kilomètres pour arriver à la douane à travers une magnifique forêt.
Arrivé au poste,
nous commençons par faire la sortie de Pépère, puis nous allons à l’immigration. Avant de tamponner nos passeports pour la sortie du pays.
– Non, je vois que vous avez un tampon provisoire alors si les Thaïs vous refusent, nous ne pourrons plus vous en faire un, tout ceux qui ont essayé de passer depuis un mois ont été refoulés, alors, allez d’abord les voir à pied.
– OK merci.
La fleur au fusil, nous allons côté Thaïlandais où nous sommes très rapidement refoulés.
Quelle galère ! Maintenant, on fait quoi avec notre Pépère qui ne peut pas quitter le Cambodge ?
Décision est prise de tenter nos deux dernières chances.
En second, nous nous mettons en quête d’un transporteur qui pourrait emmener Pépère sur sa remorque jusqu’en Malaisie, nous savons que le chemin va être long alors, parallèlement, nous réimportons notre Pépère qui n’est pourtant jamais parti. Cette fois, nous mettons la douane de sortie du bord de mer sur les papiers.
C’est parti pour les 400 km en sens inverse, jusqu’à la frontière où nous étions il y a 3 jours.
Depuis que nous avons rencontré Kry et sa femme, Michel est très fâché, car nous n’avions pas fait de photos avec lui, alors, nous nous arrêtons pour réparer cette erreur. Et là, tout ce qui s’était passé entre les deux, presque conscrit, se confirme, Michel et Kry se serrent dans les bras chaleureusement et Doreen immortalise cette incroyable rencontre.
Puis, nous profitons des kilomètres pour chercher un transporteur qui pourrait prendre Pépère. Rapidement, ça ressemble à une mission impossible, alors quand nous arrivons de nouveau à la frontière de Cham Yeam, nous prenons ça comme notre dernière chance.
Maintenant, ils nous connaissent et semblent disposer à nous aider. Mais à l’immigration, le douanier qui nous reconnaît, propose, avec un sourire en coin.
-S’ils vous refusent encore, venez à la maison, on vous accueillera.
Encore une fois, nous ne faisons, sur leurs conseils, aucun papier de sortie.
– Allez d’abord voir les Thaïs s’ils veulent votre camion !
Nous voilà donc partis, avec une pression énoooooorrrme, coté thaï.
Un bureau, puis un autre, ça a l’air d’avancer un peu, arrive le bureau où le sésame d’entrée pour Pépère doit être fourni. Et là, incroyable, un gars très efféminé rempli le document et le tend à Michel.
Ouf sauvé !
Sauvé ? Que non…Ce document doit être signé par le grand chef dans un bureau en face de la rue.
La pression remonte d’un cran.
Il refuse et nous demande d’aller d’abord faire la sortie du Cambodge sur nos passeports.
Pendant toutes ces démarches, nous avons caché Pépère de leur vue sachant que les véhicules habitables sont formellement interdits d’entrée.
Coté Cambodge, ils sont aussi motivés que nous pour nous aider et nous quittons officiellement le Cambodge sans être certain de ne pas revenir dans quelques minutes.
Arrivé devant le grand chef, il signe tous nos papiers, nous avons réussi !!!!
Dès la barrière passée, c’est du délire dans Pépère, on y croit toujours pas, que de stress.
C’est à ce moment que Doreen dit à Michel ce qu’elle a vu au bureau thaïlandais.
– Pendant que tu faisais remplir le document d’importation, le douanier cambodgien qui nous avait aidé de son côté est venu parler aux Thaïs dans son bureau. (Pas très normal tout ça.) Il est vrai que suite à nos deux passages par chez eux, une petite complicité s’était créé entre nous, surtout avec Doreen.
Il semble que nous soyons les derniers à entrer en Thaïlande avec un véhicule aménagé. A ces deux postes-frontières, réputés les plus faciles, cette semaine, 4 autres voyageurs ont été refoulés.
Michel ne s’enlèvera pas de l’idée que le charme de Doreen nous a certainement sauvés.